Une faible profondeur de champ, agit tel un exhausteur de gout.
Le principe d’un exhausteur de goût, tel le sel par exemple, est de faire ressortir une information sans en apporter lui-même : le fait de saler ses aliments permet d’en faire ressortir la saveur pour nos papilles, sans pour autant que le sel ait lui-même un goût particuliers.
La lecture d’une image évidente
A l’appréhension d’une image nouvelle, notre cerveau cherche d’abord des évidences. Il se rattache alors au connu et à la facilité, entre autres :
- ce qui est dans la lumière
- les couleurs fortes
- les contrastes
- ce qui est net
- ce qui est remarquable dans le cadrage : au centre, détaché du reste, à l’horizon, symétrique,..
…ça le rassure !
- … + des formes connues (silhouettes de personnes), de l’agréable : sourire, nudité (notre côté voyeur ancestral), et tout plein d’autres signaux d’intérêt plus ou moins personnels
« …notre cerveau cherche d’abord des évidences »
Net, clair et précis
Lors de la visualisation d’une image à faible profondeur de champ, l’esprit du « lecteur » va pouvoir se saisir facilement et avec intérêt du propos net. C’est une des manières de mettre l’accent ou souligner ce sur quoi le photographe souhaite attirer l’intérêt.
Il s’agit effectivement de diriger l’attention par une manipulation inconsciente du lecteur. On rend l’information importante évidente à l’oeil et donc facilement discernable.
C’est le même principe qu’en communication, notamment dans le marketing et les pubs :
il ne faut transmettre qu’une seule information importante à la fois !
La manipulation poussée plus loin
Comme dans le clair-obscur, au travers duquel il est facile d’attirer l’attention sur ce qui est dans la lumière, on peut cependant utiliser la lumière pour amener à l’ombre…
C’est à dire rendre évident un sujet inintéressant pour attirer l’attention sur ce qui ne l’est pas.
Dans le cas de notre courte profondeur de champ, on va faire une mise au point nette sur un sujet sans intérêt pour entrainer le cerveau à s’intéresser au reste de l’image…
Même si le propos net n’a pas un réel intérêt visuel en lui-même, il va tout de même servir de support à l’intellect, de référence, de base saine et rassurante. A partir de cet « objet préhensible » par l’intellect, alors l’interprétation globale va pouvoir s’effectuer.
Le flou c’est de la sensation
En plus de l’effet impactant de la netteté, le flou crée une sensation complémentaire dans laquelle le cerveau s’engouffre pour interpréter à sa manière. Il fait le chemin de l’interprétation. Cela rajoute une sensation d’être acteur, comme un livre invite à imaginer à la différence d’un film qui montre.
Le pouvoir de l’imagination est une construction par soi-même qui s’imprègne certainement plus profondément (par « presque-expérience ») que le souvenir simple d’avoir vu une image.
« …un livre invite à imaginer à la différence d’un film qui montre »
Paradoxe marquant
La photo à faible profondeur de champ crée un contraste de sensations,
entre ce qui est évident (objectif)
et ce qui est interprétable (subjectif).
Ce contraste (ou paradoxe du fait de la proximité : les deux sont vécus en même temps), impacte les sentiments avec efficacité. En comparaison avec une image à forte profondeur de champ contenant de multiples informations à déchiffrer et ne permettant pas de capter « rapidement » le propos.
Pourquoi ne pas…toujours utiliser cette technique ?
Même si j’ai voulu montrer qu’une courte profondeur de champ peut amener à attirer l’intérêt autant sur la partie nette que sur « le reste flou », elle ne convient pas à tous les cas de figure.
Dans les modes de photo automatiques, elle est le plus souvent utilisée dans les modes « Portait », « Macro », « Fleur » car elle permet d’isoler facilement le sujet de son environnement et de lui donner du relief. Mais elle n’est pas du tout utilisée dans le mode « Paysage » où l’intérêt est justement d’obtenir une photographie nette de tout ce qui rentre dans le cadre.
Sans jouer sur ces opposés, une courte profondeur de champ est la meilleure manière de louper son point de focus, surtout sur un sujet en mouvement. En photo sportive par exemple on ne s’y risquera pas sans être aguerri. On préfèrera une zone de netteté permettant l’approximation de la position de l’objet photographié.
Même d’ailleurs un portrait dont la profondeur de champ est trop courte et la zone de mise au point bien, ou même mal positionnée, peut perdre de son intérêt : exemple si la mise au point n’est pas sur l’oeil mais le bout du nez :/